Lost in translation

Files d’attentes interminables, retards réguliers, colis perdus à jamais… A l’heure du tout numérique,la poste israélienne a visiblement du mal à se réinventer

Paquets en attente à la poste (photo credit: REUTERS)
Paquets en attente à la poste
(photo credit: REUTERS)
L’aventure commence dans le bureau de poste de Derekh Bethléem à Jérusalem, au moment où j’appuie sur l’écran tactile automatisé et obtiens mon numéro de passage dans la queue. N° 141. Il est 12 h 49. 18 clients sont dans la file d’attente ; trois employés derrière les guichets. A ma gauche, un jeune homme avec une kippa noire, Yoav de Baka ; à ma droite, Nancy d’Abou Gosh. Un juif pratiquant et une musulmane en hijab attendent religieusement comme on attend le Messie. Mon tour arrive à 13 h 05, soit seulement après 16 minutes d’attente. Pas si mal !
Je demande à une jeune femme qui vient d’entrer : « Comment est le service postal ici ? » « Terrible ! », me dit-elle, « même s’ils font des efforts pour être gentils. Par exemple, j’ai voulu envoyer une lettre en utilisant leur service express en 24 heures, et elle est arrivée après… 10 jours ! » Un jeune homme qui tient son chien en laisse se réjouit d’entrer dans la conversation. Il me raconte la fois où un paquet en provenance de l’étranger a été in fine bêtement retourné à l’expéditeur, du fait que son destinataire n’est pas venu le récupérer dans les temps réglementaires. Un homme se précipite au guichet pour régler ses factures. Avant même que je n’aie le temps de lui demander pourquoi il ne les paye pas en ligne, il râle : son quartier, Homat Chmouel, ne dispose d’aucun bureau de poste, malgré son ancienneté – il a été fondé en 2002 – et le nombre de ses habitants, 13 500.
Internautes en colère
Comme il est difficile d’évaluer le service client de la poste israélienne à l’échelle nationale en se limitant à la visite d’un seul bureau, je lance un appel aux témoignages via Facebook. Sur 73 réponses reçues, la grande majorité fait état de retards sur des courriers à l’international. Horaires inexacts, service client impoli et inefficace, colis et lettres qui n’arrivent pas à destination… Les dysfonctionnements ne manquent pas et sont les mêmes partout dans le pays : Natanya, Hod Hacharon, Ramlé, Rehovot…
« Surtout ne me lancez pas sur un tel sujet », écrit David de Modiin. A l’appui, des exemples d’enveloppes envoyées d’Herzliya en mars ou avril et arrivées à destination, à moins de 50 km de leur point de départ, en… juin ! Simone de Jérusalem décrit un véritable cercle vicieux : « Je pense que les attentes envers la poste diminuent au même rythme que la qualité de ses services. Moi, par exemple, j’ai trouvé un moyen de les éviter presque complètement. » « Je me demande pourquoi je continue d’aller au bureau de poste, étant donné que mon courrier depuis l’étranger n’arrive de toute façon jamais », nous confie Rachel de Nahariya. « A chaque fois, la poste trouve le moyen de m’expliquer pourquoi mon courrier est arrivé soit très en retard, soit pas du tout : la météo était mauvaise, il y a eu des jours fériés, etc. J’ai fini par décourager ma famille et mes amis de me poster quoi que ce soit. Incompétence, paresse et indifférence semblent résumer le service de la poste », éructe Avram de Jérusalem. Enfin Ludivina se plaint de l’inefficacité des courriers recommandés, pour lesquels l’expéditeur est rarement informé, comme il devrait l’être, du moment où le pli a été livré. « Pourquoi dans ces conditions payer un supplément pour pouvoir suivre l’acheminement de notre envoi, alors que les informations reçues sont le plus souvent fausses ou incomplètes ? » Bonne question.
Un cas d’école
Prenons un cas concret : l’envoi d’un colis en recommandé. « Nous ne pouvons garantir son arrivée à une date autre qu’avant 30 jours après envoi », me confie le postier avec un sourire.
Afin de transmettre un livre du jour au lendemain, d’une ville à l’autre en Israël, la seule option est un service express qui dessert uniquement les grandes villes. Coût : 36 shekels pour un paquet de 500 grammes. On me conseille de fournir le numéro de téléphone du destinataire car, dans le cas où ce dernier ne serait pas rapidement disponible pour passer chercher le colis, il pourrait être renvoyé à son expéditeur. Je décide finalement de poster le livre en recommandé. Coût : 16 shekels, avec traçabilité via SMS. Si je me limite à payer un simple et bon vieux timbre à 10 shekels, je serai condamnée à me demander pendant de nombreux jours si mon paquet est bien arrivé à destination.
Pour en avoir le cœur net, je contacte un responsable au ministère des Communications. « Comment se fait-il que, dans un si petit pays, on ne puisse bénéficier d’un service courrier entre deux grandes villes, garanti en un ou deux jours et à prix raisonnable ? » Mon interlocuteur ne s’étonne pas. Ce type de service n’existe pas non plus dans les autres pays, affirme-t-il. Il me conseille le service postal express garanti en 24 heures (que la jeune femme du bureau de poste de Derekh Bethléem me disait avoir utilisé). Pour un livre, cette option, dont je n’ai pas encore pu tester l’efficacité, m’aurait coûté seulement deux shekels de plus qu’un envoi ordinaire. Seul bémol : elle ne m’avait été proposée par aucun employé, malgré mes requêtes insistantes quant au délai de transmission.
Une grande majorité des personnes interrogées m’affirment que cette désorganisation des services postaux est relativement récente. « Pendant des années, le système postal semblait s’améliorer. Mais depuis à peu près un an, la situation s’est brutalement dégradée. Aller chercher un pli peut facilement prendre une heure. De même pour un envoi. Les lettres semblent prendre deux à trois fois plus de temps qu’avant pour arriver à destination et les colis envoyés de l’étranger n’arrivent pas toujours », confie un habitué. « C’est à se demander si le système postal sous le Mandat britannique n’était pas plus efficace, bien qu’il n’ait disposé que de… calèches à chevaux ! », conclut-il.
A l’heure du tout numérique
Après la création de l’Etat juif, les services postaux israéliens ont été régis par le ministère des Transports, puis par celui des Communications. La poste a ensuite été transformée en société de droit public en 2006, statut qu’elle a depuis conservé. Contrairement aux idées reçues, elle n’est donc pas financée par l’Etat et, même si celui-ci est son seul actionnaire, elle doit, comme toute société, disposer d’un Business Plan viable. Le ministère des Communications, son autorité de tutelle, veille à ce qu’elle remplisse les obligations d’une société publique. Si ce n’est pas le cas, il peut être amené à lui infliger des amendes. Pour trouver un juste équilibre entre une certaine profitabilité, un service fiable et le respect des exigences étatiques, la poste a dû restructurer ses services, ses ressources et son personnel, dans un monde où le courrier traditionnel apparaît totalement archaïque.
« A l’époque du commerce en ligne, la poste a dû lancer un programme complet d’adaptation de l’entreprise aux nouveaux besoins de ses clients. Ces bouleversements sont très importants et ne peuvent que générer des troubles semblables aux douleurs d’un accouchement », nous explique dans un langage imagé la porte-parole de la poste, Maya Avishai. Et d’ajouter : « Il est fort vraisemblable que les problèmes survenus au cours de cette période de changement, et auxquels vous faites allusion, soient liés aux importantes réformes mises en œuvre sur le terrain. Nous nous efforçons de les résoudre aussi vite que possible. »
L’an dernier, dans le cadre de ces efforts de restructuration, et en vue de l’automatisation de certaines tâches, la poste a conclu un accord avec la Histadrout pour licencier progressivement plus de 1 000 employés. Entre-temps, étant donné l’allongement des délais de distribution du courrier, les envois se font de plus en plus via des transporteurs privés. Depuis 2006, une loi a permis d’ouvrir à la concurrence la distribution du courrier de masse, et ainsi aux nombreuses grandes entreprises qui envoient des plis en diffusion large, de contourner la poste.
Les boîtes aux lettres rouges situées aux coins des rues ont été les principales victimes de la révolution digitale. La poste semble les considérer aussi archaïques que les anciens téléphones à cadran : selon elle, le courrier qui y est déposé ne représente que 3 % du total. Ces vestiges d’une autre époque sont donc au cœur du processus de restructuration en cours. Nombre d’entre elles ont déjà été condamnées, afin d’en limiter le nombre à une boîte située à environ 1 500 mètres de chaque domicile.
La poste se réinvente
Traditionnellement, les bureaux de poste israéliens sont bien plus qu’un simple endroit pour envoyer et recevoir du courrier. Ils servent également de banque où les clients peuvent tenir de petits comptes, changer des devises ou payer les services de certaines entreprises publiques. La poste vend des téléphones portables et même certains articles ménagers. Autant de prestations qui génèrent des suppléments de chiffre d’affaires pour une société qui, à l’ère du numérique, ne peut plus compter sur les seuls profits des services postaux traditionnels pour garantir sa viabilité économique.
Si la distribution du courrier traditionnel est en baisse, le commerce électronique lui, est en hausse, ce qui crée une forte augmentation des nombres de colis envoyés. Pour répondre à une telle demande, la compagnie postale a ouvert des bureaux de poste concessionnaires dans certains commerces, comme Supersal ou Office Depot. Bientôt, 90 % des paquets pesant jusqu’à 1 kg seront livrés directement à domicile. Et les bureaux de poste seront équipés de postes de livraisons automatisées. Des dispositifs électroniques fiables de suivi de chaque envoi sont également à l’étude.
La poste cite d’autres améliorations. Depuis avril, les horaires d’ouverture de plus de 90 de ses bureaux ont été étendus de 18 à 20 heures, et les classiques interruptions de début d’après-midi supprimées. Dans plus de 150 bureaux, le public peut désormais s’inscrire en ligne ou télécharger l’application « Ma Visite » pour planifier un rendez-vous. Cette application est assez facile d’utilisation. Vous aurez ainsi la chance de rendre jalouses les personnes qui patientent dans la queue quand, au lieu du traditionnel ticket papier, vous serez appelé via votre portable par un guichetier quelques minutes seulement après votre arrivée.
Dernière chance
Je devais envoyer un colis et je me suis dit qu’il fallait donner sa chance à la Galilée. Mauvaise idée. J’y ai battu le record en matière de temps d’attente. Si au bureau de Guivatayim, j’avais pu noter des queues allant de 9 à 17 personnes, à Tibériade, 41 clients me devançaient. Selon mon expérience, pour estimer un temps d’attente approximatif en minutes, il convient de multiplier par deux le nombre de personnes qui vous précèdent aux guichets, soit dans ce cas, 82 minutes. J’ai donc jeté mon ticket dans le lac de Tibériade et repris ma voiture vers Guivatayim, en pensant que, quand mon tour viendrait, je serais quasiment arrivée à destination. J’ai ainsi pris rendez-vous pour plus tard dans l’après-midi au bureau de poste de mon quartier en utilisant l’application « Ma Visite », et tout s’est déroulé comme prévu.
Selon le ministère des Communications, le temps d’attente moyen dans les bureaux de poste est actuellement de 18 minutes. Il devrait bientôt être réduit à 10 minutes, nous affirme la porte-parole.
Bien sûr, il reste de rares inconditionnels de la poste. Ainsi, Malkah, une internaute, avoue que, malgré de nombreuses déconvenues, elle apprécie le côté personnel et amical de l’ancien service postal et déplore les ravages des actuelles restructurations. Et elle n’est pas la seule. Dalia écrit ainsi sur Facebook : « En fait, j’ai eu de très bonnes expériences avec le bureau de poste de Tel-Aviv, à l’angle des rues Yehouda Halevi et Shenkin. Il suffit de s’y rendre suffisamment tôt le vendredi matin pour faire assez peu la queue et avoir affaire à un personnel courtois. Voici une anecdote amusante qui témoigne de la bonne ambiance qui peut y régner : afin d’agrafer mon document, une employée religieuse avait demandé à sa collègue une agrafeuse, “chadkhan” en hébreu. Cela m’a fait sursauter, car en hébreu ce mot veut également dire « marieur ». Je m’apprêtais à la réprimander sévèrement pour se mêler ainsi de ma vie privée, avant de réaliser ma méprise et d’en rire avec elle. »
Si seulement la restructuration de la poste israélienne conduisait celle-ci à ajouter des prestations de « marieurs » à la gamme de ses services, elle pourrait prétendre gagner sa place au Paradis, ou tout du moins… quitter la sienne, actuellement du côté de l’Enfer.
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