Le ciel judéo-chrétien au beau fixe

Les rencontres interreligieuses des 25 et 26 mai, dans le sillage du voyage papal, ont été, au-delà de l’énorme événement médiatique, de la plus grande importance pour les communautés juives et chrétiennes. Décryptage

Le pape Francois serre la main du Grand Rabbin ashkenaze d'Israel (photo credit: REUTERS)
Le pape Francois serre la main du Grand Rabbin ashkenaze d'Israel
(photo credit: REUTERS)
 «J’ai eu le privilège d’être à Jérusalem lorsque, pour la première fois en 1964, un pape a décidé d’effectuer un pèlerinage en Terre Sainte, après une histoire de la catholicité vieille de dix-neuf siècles », se souvient René Samuel Sirat, ancien Grand Rabbin de France. Le pape Paul VI était alors venu en Israël. Mais s’il s’était entretenu avec les responsables politiques, il avait refusé d’aller à la rencontre du Grand Rabbin d’Israël Nissim Primat de Sion, rappelle Samuel Sirat. Paul VI n’avait par ailleurs pas prononcé une seule fois le nom d’Israël, et n’avait fait allusion aux Juifs qu’en les termes de « fils du peuple de l’Alliance ». Depuis, les gestes se sont accentués. Les pontifes Jean-Paul II, Benoît XVI et François, ont tenu à faire une visite au Mur occidental, mais également à organiser une réunion avec les Grands Rabbins d’Israël.
 Selon Sirat, lors de sa récente visite, le pape François a renforcé les liens judéo-chrétiens « avec éclat ». Et ce dignitaire juif, pionnier dans l’établissement des relations entre les fidèles des deux religions monothéistes, est loin d’être étranger au rapprochement des deux communautés. Il fait, entre autres, partie du comité d’honneur de l’Amitié judéo-chrétienne de France depuis le début des années 1980, a été nommé secrétaire général fondateur de la FIIRD (Fondation pour la recherche et le dialogue interreligieux et interculturels, dont le prince El Hassan bin Talal de Jordanie est l’actuel président) dans les années 1990 sous la proposition même de Benoît XVI, à l’époque cardinal, et créé la chaire Unesco « Connaissance réciproque des religions du Livre et enseignement de la Paix » il y a plus de 15 ans. Grand Rabbin de France de 1981 à 1988, Sirat a rencontré plusieurs fois les papes Jean-Paul II et Benoît XVI, notamment en tant qu’invité d’honneur lors des fameuses deuxièmes Rencontres interreligieuses d’Assise en 1993. C’est donc avec un regard lucide et éveillé qu’il fait référence au Décalogue – Dix Commandements – n’hésitant pas à l’ériger en « charte de l’Humanité, fondement de toute morale et de toute éthique » et base commune au judaïsme et au christianisme. « Ce sont ces leçons que nous avons retenues au cours de la visite du pape François », explique-t-il.
 Le rabbin David Rosen, directeur de l’American Jewish Committee et chargé du dialogue interreligieux au sein du Grand Rabbinat d’Israël, quant à lui, assure : « Même s’il existe des différences profondes entre les communautés et les traditions, nous partageons tant de valeurs fondamentales ! »
 Rosen, l’une des rares personnalités juives à avoir reçu la chevalerie papale, a vu en cette visite un resserrement significatif des « liens entre catholiques et juifs ainsi qu’entre Israël et le Vatican ». Et de préciser que les relations sont « excellentes, d’autant qu’Israël n’a toujours pas tenu ses promesses faites dans l’accord fondamental signé avec le Vatican, il y a de cela vingt ans, où il s’était engagé à résoudre la question du statut juridique et financier de l’Eglise dans les deux ans ! » Pour Rosen, le pape François affiche un style « beaucoup plus informel » que ses prédécesseurs, même si les médias en ont fait « une superstar exceptionnelle ». Rosen avait déjà, en novembre dernier, salué l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium (La joie de l’Evangile) du pape François sur l’annonce de l’Evangile dans le monde actuel, qui consacrait une place particulière au « dialogue et l’amitié avec les fils d’Israël ».
Espoir de paix
 La visite concomitante du pape François et du patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée est, selon René Samuel Sirat, « porteuse d’avenir et d’espérance sur le plan national, international et religieux ». L’hommage du chef de l’Eglise catholique romaine sur le tombeau de Theodor Herzl, icône du sionisme moderne, est un « signe de grande amitié vis-à-vis du peuple israélien », affirme-t-il. A Yad Vashem, il était prévu que l’évêque de Rome serre la main de six survivants de la Shoah. « Il a fait beaucoup mieux, il la leur a embrassée », tient-il à souligner. « Nous entrons dans une ère tout à fait différente du dialogue judéo-chrétien », s’émeut Sirat. Le pontife a en effet développé, dans son discours de remerciement aux Grands Rabbins d’Israël, la nécessité d’une meilleure compréhension du judaïsme par les chrétiens et du christianisme par les juifs. Il a surtout invité le président israélien Shimon Peres et le dirigeant de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas à venir prier avec lui à Rome à l’occasion d’un recueillement simultané. « Je crois que c’est le couronnement du dialogue interreligieux : la religion peut surmonter les obstacles, là où la politique n’a pas encore obtenu de résultats ».
 Les communautés juives et chrétiennes avancent à grand pas en faveur du rapprochement interreligieux, bien loin du dialogue de sourds politique, pour l’instant au point mort.