Festival du film juif de Jérusalem, que la lumière soit !

Depuis 16 ans, le festival qui a lieu pendant la semaine de Hanoucca illumine la Cinémathèque de Jérusalem. Plus de 60 films à la thématique juive explorent la complexité de la diaspora et sont montrés à un public de plus en plus jeune

A la vie, film coup de coeur  (photo credit: DR)
A la vie, film coup de coeur
(photo credit: DR)
Amos Gitaï est là. On le reconnaît de loin, avec sa traditionnelle écharpe rouge autour du cou et son gentil sourire, qu’il affiche pour les fans de son cinéma. On le regarde un peu surpris parfois de le croiser là, lui l’habitué des festivals de Cannes, de Venise, et dont les plus grands musées du monde et cinémathèques s’arrachent les rétrospectives. Lui, l’enfant banni dans son propre pays, est venu présenter son dernier film Tsili d’après le roman d’Aharon Appelfeld. Amos Gitaï, qui ne fonctionne qu’aux coups de cœur, a trouvé dans cette 16e édition une dynamique, un élan formidable. Et pour cause, la nouvelle équipe de la Cinémathèque fraîchement recrutée ne dépasse pas les trente-cinq ans…
A la tête de cette dream team, Noa Réguev qui, avec ses airs d’écolière soumise, affiche une volonté de fer et un désir d’imprimer à ce bateau endormi sur une mer trop calme, un véritable coup de tonnerre : larguez les amarres, il est temps de surfer sur la vague. Et ce festival de Hanoucca, qui atteint maintenant une popularité nouvelle, attire un public plus jeune qu’auparavant. L’affiche, un brin provocante, montre un religieux, à la barbe abondante, manches relevées et lunettes de soleil, qui tient dans sa main un skate-board. Le ton est donné et cela fonctionne. Désormais le festival juif, avec ses 60 films en avant-première, ses nombreux invités et son cycle de films gastronomiques peut entrer dans la cour des grands.
Très connue en Israël, Sarah Silverman actrice, humoriste, productrice et compositrice américaine, est venue présenter ses films qui traitent de sujets tabous sur un ton satirique.
Elad Samorzik et Daniela Tourgeman, les directeurs de la programmation, écument les festivals du monde entier pour choisir les bons films, sous le regard attentif de Nir Becher, nouvel administrateur qui tient les finances d’une main de maître, et n’hésite pas à mettre la main à la pâte. Il y a dans cette nouvelle équipe, une humanité formidable et le désir de rendre heureux le public. Finie la hiérarchie ancestrale, et même si de loin le dieu démiurge Lia Van Leer accompagnée de son auréole rougeoyante Miriam veille au grain, l’ère de la monarchie est finie. Nouvelle recrue, Carole Dreyfus, avec sa touche d’élégance française pour ouvrir ce lieu magique à des événements festifs.
La France à l’honneur
Et oui, que serait un festival sans le cinéma français, et cette année, il n’était pas en reste. Une avant-première du film de François Margolin : L’antiquaire, qui sortira sur les écrans français en mars, se penche sur les tableaux d’une famille juive française spoliée pendant la guerre. La petite-fille, magnifiquement interprétée par Anna Sigalevitch, mène l’enquête. Un casting de rêve et une scène mythique entre deux géants de la scène : Michel Bouquet et Robert Hirsch, entre eux se glisse avec son talent imparable le magnifique François Berléand. Deux classiques ont également été projetés : Les violons du bal de Michel Drach, l’événement du festival de Cannes de 1974. Une histoire de famille aussi. Aux côtés de Marie-José Nat, alors épouse du réalisateur, David, le fils du couple incarnait le petit garçon. Aujourd’hui, c’est lui qui est venu à l’âge de quarante ans présenter cette émouvante projection. Autre opus incontournable du cinéma français : Mr Klein de Joseph Losey, rentré aussi dans l’histoire du cinéma, un film kafkaïen dans l’art de la paranoïa poussée à bout, avec un Alain Delon inoubliable.
Et puis un coup de cœur, le film de Jean-Jacques Zilbermann, venu présenter A la vie inspiré par l’histoire de sa mère. Trois femmes déportées ensemble, se retrouvent à Berck en 1962 et se font une promesse : revenir dans ce lieu chaque année. Eclaboussées par le soleil d’un été insouciant, ces femmes vont sortir de leur nuit éternelle, pour vivre enfin dans la lumière et les parfums d’une vie nouvelle. Ce film où le quotidien des trois amies est reconstitué avec minutie fait penser à une pièce de Tchekhov. Mais entre ces visages tranquilles et ces jours qui passent à manger des glaces, coule une rivière de chagrin qu’aucune mer du monde ne pourra consoler.
Ce plan où l’on voit Julie Depardieu – la mère de Jean-Jacques Zilbermann – qui s’avance vers l’océan, dit tout. Va-t-elle s’engloutir dans les flots ? Non, elle regarde juste l’horizon, tranquille, car rien n’est tragique et tout l’est pour celui qui sait passer derrière le miroir des apparences. Un film bouleversant où l’indicible s’exprime dans chaque geste. Une musique sublime accompagne comme un écho du passé ces images en Technicolor où pour la première fois, des survivantes de la Shoah sont jeunes, heureuses et où posé comme un souffle sur la peau, le numéro bleu imprime sur leur bras jeune, la trace indélébile de leur calvaire.
Héritage européen
Le festival, c’est aussi et surtout un héritage européen et culturel. Le documentaire de Mickaël Kantor Broadway Musical, un héritage juif revient sur tous les compositeurs qui ont émigré d’Europe jusqu’à New York, et comment leur musique est inspirée par leurs racines. De Kurt Weil dont le père était hazan dans une synagogue à Léonard Bernstein en passant par Hammerstein et Gershwin. Pour l’occasion, la projection était précédée d’un magnifique concert. The sturgeon queens de Julie Cohen a aussi remporté un vif succès. Il raconte l’histoire d’une famille qui, en arrivant à New York, va ouvrir dans le Lower East Side un magasin de herring appelé Russ and daughters. Quatre générations se sont succédé depuis, et aujourd’hui, c’est le delicatessen le plus célèbre de la ville.
Point culminant de ce regard sur la vieille Europe, le documentaire réalisé par Nathan Gross en 1946 Unzere Kinder. Quelques enfants juifs polonais, survivants, vont être amenés au théâtre voir une pièce comique sur la vie du ghetto. Ce film étudie les réactions de ces jeunes incapables de sourire et en proie aux cauchemars nocturnes. Entièrement en yiddish.
Que serait Hollywood sans la Bible ?
Pour la projection de Samson et Dalila de Cecil B. DeMille, film de 1949, la grande salle de la Cinémathèque était pleine. Admirer les pectoraux de Victor Mature dans le rôle de Samson ou la beauté ravageuse de Hedy Lamar était une des priorités du public. Et qui ne souvient pas de cette incroyable scène où Samson, après avoir retrouvé sa force grâce à ses cheveux qui ont repoussé, écarte les colonnes d’un décor certes en carton-pâte hollywoodien, on le sait bien, mais qu’importe, ici à Jérusalem la légende prend une tout autre véracité…
Toute une série de films s’interroge aussi et replace le judaïsme dans le contexte de la réalité du pays comme le beau et talentueux chanteur israélien David Broza dont les sonorités hispano-hébreu ont enchanté des décennies de spectateurs. Il revient aujourd’hui avec un album Est Jerusalem – West Jerusalem dont l’enregistrement a donné naissance à un film qu’il a présenté à Jérusalem. Ou comment des musiciens juifs et musulmans peuvent s’entendre et faire de la musique ensemble… Une porte ouverte et un espoir pour la paix. Si tous les gars du monde pouvaient se donner la main…
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