Les reines de Ramallah

Une nouvelle génération de femmes d’affaires palestiniennes révolutionne l’économie des Territoires

al jack (photo credit: Linda Gradstein)
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(photo credit: Linda Gradstein)
Le café Zman pourrait se situer à Berlin, Paris ouJérusalem. C’est du moins l’impression qu’on en a, à voir les ordinateursportables essaimer sur les tables, le design modern aux couleurs rouge et gris,le café raffiné et les salades composées. Mais il se trouve à Ramallah,capitale politique et économique de l’Autorité palestinienne. Et la directriceet associée de cet établissement branché n’est autre qu’une femme de 48 ans, Hodaal-Jack.“Ici, nous avons lutté contre les normes culturelles en vigeur dans les autrescafés”, nous explique-t-elle autour d’une boisson qui fait la réputation deZman. “Beaucoup pensaient que nous étions fous. Ils nous donnaient trois mois”.Al-Jack raconte les Palestiniens qui n’étaient pas habitués à payer leurconsommation à la caisse avant d’être servis, ni de débourser 2,5 dollars pourune tasse de café. Ils n’avaient jamais vu non plus de femmes derrière le bar.Pour ces barmaids, dont le travail consiste notamment à fermer boutique àminuit, aucune dérogation n’a été nécessaire. Même s’il est mal vu pour dejeunes célibataires d’être dehors le soir.Malgré les obstacles, Zman est une affaire florissante.Et al-Jack a récemment ouvert un second établissement.Elle fait partie d’un nombre croissant de femmes d’affaires palestiniennes quimodifient l’image de la femme et constituent une sorte de modèle pour la jeunegénération des Territoires. En dehors du café, elle est aussi vice-présidentede Siraj Palestine Fund one, le premier fond d’investissement privé palestinienpour l’équité, qui a récemment atteint 90 millions de dollars.Une Palestinienne cosmopolite
Selon Al-Jack, Israël est indirectementresponsable de cette augmentation du nombre des femmes dans le monde dutravail. “ Notre modèle économique est centré sur les hommes”, explique-t-elle.“ Mais beaucoup d’entre eux sont allés en prison après l’Intifada. Alors lesfemmes ont commencé à travailler. Elles n’avaient tout simplement pas le choix”.
Selon le Bureau des statistiques palestinien, seul 16,6 % des femmes étaientactives en 2011. Un chiffre faible, mais en hausse de plus de 10 % depuis 2001.Et qui n’inclut pas le marché informel des femmes qui vendent des légumes dansla rue ou des objets artisanaux.Al-Jack est l’exemple d’une Palestinienne cosmopolite.Son père est un diplomate soudanais et sa mère est palestino- libanaise. Aprèsavoir été scolarisée en Angleterre, elle a poursuivi ses études supérieures auxEtats-Unis : un MBA en gestion des affaires à l’université de Northwestern. Sonmari, Bahar Amer, est palestinien. Le couple menait une confortable existenceen Californie, mais Amer a dû retourner en Judée et Samarie pour prendre soinde son père âgé. Sa femme et leurs deux enfants le rejoignent en 2003.L’adaptation n’a pas été facile, se souvient al-Jack. Ils étaient intimidés parla présence des soldats israéliens, leur arabe était faible, et la Judée etSamarie leur semblait si étrangère. Aujourd’hui, dit-elle, elle ne repartiraitpour rien au monde.“Je pense que la présence de nombreuses femmes instruites américaines,européennes ou du Golfe persique a un effet important”, note Sam Bahour,consultant en affaires palestino-américaines. “Elles arrivent avec des valeurs différenteset leur influence se fait sentir à Ramallah”. Car les Palestiniens observentleurs voisins israéliens et la place occupée dans leur société par les femmes,complète-t-il. Le consultant voit également un élément féministe dans lePrintemps arabe, les femmes ayant elles aussi appelé à plus de justice sociale.Vers une évolution de la condition de la femme ?
La société palestinienne atoujours hautement considéré les études. Elle affiche un taux d’alphabétisationde 92 %, bien plus élevé que celui de la plupart des pays arabes des environs.Aujourd’hui, dans les universités, les femmes sont plus nombreuses que leshommes. Mais en ce qui concerne les postes à responsabilité, les chiffresdégringolent.
Toujours selon le Bureau des statistiques, le nombre de femmes dans lamagistrature est à hauteur de 11 %, et 10 % dans le journalisme. Seul 7,8 % duconseil législatif est féminin. Les raisons sont en partie culturelles. EnIsraël, près de 70 % des femmes travaillent hors de chez elles, et la prise encharge des enfants est en majorité subventionnée par l’Etat.Dans les villages palestiniens, au contraire, les femmes se marient tôt et ontdes enfants très jeunes. Au sein des familles traditionnelles, il est considéréhumiliant pour un homme d’avoir une femme qui travaille, ce qui laisse à penserqu’il est incapable de pourvoir aux besoins de son foyer.Il existe certes des centres périscolaires à Ramallah, mais ils ne sont pasconsidérés de bonne qualité et la plupart des femmes actives comptent sur lesmembres de leur famille pour prendre soin de leurs enfants après l’école.“Une femme d’affaires palestinienne a besoin d’un énorme soutien”, expliqueManal Zreiq, 43 ans, associée chez Massar, une grande compagnie de conseil, etfondatrice du Forum des Femmes d’affaires palestiniennes. “La société a besoinde sensibilisation et de soutien aux femmes”.Vêtue élégamment et perchée sur d’incroyables hauts talons, Zreiq déclare queles femmes palestiniennes sont instruites, mais manquent souvent de compétencesen marketing et en compatibilité. Une lacune que le Forum les aide à combler.Cette businesswoman donne l’exemple d’une Palestinienne qui fabriquait un savonà base d’huile d’olive de grande qualité, mais ne savait comment aborderl’emballage et la vente. Forte de nouveaux conseils, elle tient aujourd’hui uneaffaire prospère.Zreiq est elle-même issue d’une famille de commerçants prospères, qui possèdeune franchise de véhicules Mercedes.Elle a toujours su qu’un jour, elle se lancerait à son tour dans les affaires.Enfant, elle achetait des bonbons chez un grossiste et les revendait à profit àses camardes de classe.Selon elle, les conditions des femmes palestiniennes changent.La maire de Ramallah est une femme, ainsi que la gouverneur du département.Mais bien qu’elles soient près des la moitié de la population étudiante, ellesgèrent et détiennent seulement 5,4 % des entreprises palestiniennes.Au-delà des avantages pour les femmes elles-mêmes, Zreiq estime que la paritéest importante pour l’Etat palestinien.“Tous les Palestiniens doivent travailler dur pour bâtir leur Etat”,avance-t-elle. Hommes et femmes doivent se répartir le fardeau”.