Islam, islamisme, islamité

Nommer un canard, un canard ; un chat, un chat et un Musulman, un Musulman.

islamité (photo credit: Reuters)
islamité
(photo credit: Reuters)
On aura noté, surtout à l’occasion des derniers évènements, l’embarras lorsqu’il s’agit de désigner précisément les Musulmans. Qu’entend-on par Islam ? Est-ce une communauté particulière (homa) ou uniquement sa religion ? Islamisme signifie-t-il un ensemble de traits culturels ou, plus largement, les croyances et les pratiques d’une civilisation (la fameuse charia) ? On emploie souvent indifféremment arabe et musulman ; or, arabe est d’évidence inadéquat ; le « Printemps arabe » aura fleuri également au Pakistan, qui est hindou, et en Iran, qui est persan.
On s’était trouvé devant les mêmes ambiguïtés lorsqu’on voulait caractériser exactement la condition des Noirs ou celle des Juifs. Malgré les services rendus par la notion de négritude, inventée par Césaire et Senghor, je m’étais permis de faire remarquer à Senghor qu’elle était trop vaste, elle comprenait à la fois les hommes et la culture. Je lui proposais d’utiliser celle de négrisme, pour désigner uniquement l’ensemble des traits culturels des Noirs. Négricité pourrait désigner exclusivement la démographie ; négrité, la manière dont un Noir vit son appartenance relative à la négricité et au négrisme. Senghor m’avait fait l’amitié de me donner son accord, et il m’est revenu qu’il utilisait cette tripartition dans ses conférences. Il avait même tenté, paraît-il, de définir une normandicité, parce qu’il séjournait souvent en Normandie, pays de son épouse.
J’ai procédé de la même manière avec la condition des Juifs.
Il était absurde de parler du judaïsme de quelqu’un. Il fallait, m’a-t-il semblé, considérer séparément les traits culturels, ou judaïsme, et la démographie des Juifs, ou judaïcité ; judéité, terme que j’ai dû forger, serait la manière dont un Juif vit, objectivement et subjectivement, son appartenance à la communauté juive.
Le succès de judéité acheva de me convaincre qu’il y avait là une nécessité, pas seulement langagière. Elle permettrait à un Juif d’être laïc par exemple, sans renier pour autant sa solidarité avec les siens.
Arabe vs. musulman 
Ne serait-il pas temps de procéder à la même ventilation pour les Musulmans ? Réservons décidément arabe à l’aspect ethnique, national ou international. Les Arabes seraient des gens originaires d’Arabie ; et ceux qui s’en réclament plus ou moins mythiquement. Cela permet en outre d’y inclure les populations non musulmanes, chrétiennes, juives. Soit dit en passant, inclure la charia dans la constitution des nouvelles nations serait source d’une ambiguïté et de nouvelles difficultés.
Revenons donc à l’islam.
Islam désignerait exclusivement la démographie musulmane ; islamisme, l’ensemble des traits culturels, religion comprise ; islamité enfin, à l’instar de négrité et judéité, la manière dont un Musulman vit son appartenance relative à l’islam et à l’islamisme. Cette distinction permettrait, comme la judéité, de libérer relativement l’individu musulman, en particulier les démocrates et les laïcs, qui n’arrivent pas à trouver leur place dans cet imbroglio. Une certaine dose de communautarisme serait légitime, si elle ne trouble pas l’ordre public. On pourrait enfin être, sans trouble ni culpabilité, musulman et laïc.
La même démarche pourrait être entreprise au sujet des Chrétiens. Ils ont la chance de disposer déjà de deux termes commodes : chrétienté, qui signifie la démographie de l’ensemble des Chrétiens, y compris les Protestants et les Orthodoxes, et de christianisme, qui est l’ensemble des traits culturels de la chrétienté, y compris la religion. Toutefois, d’évidence il manque un troisième terme, l’équivalent de judéité ou de négrité. Les Chrétiens utilisent volontiers celui de foi, mais ce terme étant commun à toutes les religions, on y perd la référence proprement chrétienne. u Albert Memmi est un auteur et un essayiste juif d’origine tunisienne. Il fait partie du comité de parrainage de l’association La Paix maintenant.