Paroles en l’air ou plans concrets ?

Gouvernement et municipalité de Jérusalem ont alloué un budget pour la réhabilitation du quartier arabe de Sour Bahir. Les besoins sont nombreux, mais le président du conseil local est confiant

Nir Barkat lors de l'inauguration d'un centre communautaire à Sour Bahir en février (photo credit: YONATAN SINDEL/FLASH 90)
Nir Barkat lors de l'inauguration d'un centre communautaire à Sour Bahir en février
(photo credit: YONATAN SINDEL/FLASH 90)
Lorsqu’il s’est adressé aux invités, fin janvier, à l’occasion d’une réception à Kikar Safra, le Dr Ramadan Dabash a choisi de s’exprimer en arabe. Il a particulièrement insisté sur ce que les autorités doivent mettre en œuvre pour parvenir à une paix véritable.
Dabash est le président du conseil local et du centre communautaire du quartier de Sour Bahir, à Jérusalem-Est. A ce titre, il était l’invité d’honneur de la réception du Nouvel An pour les communautés religieuses et le personnel diplomatique étranger, dont les discours se contentent généralement des vœux traditionnels et évitent soigneusement les sujets qui prêtent à controverse. Dabash prouve cependant ici, une fois de plus, qu’il est prêt à prendre des risques : il veut apporter des changements importants pour le bien-être des habitants de Sour Bahir.
Dans son discours lors de la cérémonie à laquelle assistaient le maire Nir Barkat et le Grand Rabbin ashkénaze Aryeh Stern, Dabash a tenu à souligner que la paix passe également par l’égalité des chances dans le domaine de la qualité de vie.
« J’ai décidé de m’exprimer en arabe, afin d’être compris aussi par les résidents qui me font confiance. Je profite de cette occasion pour faire part de ma position : ce ne sont pas seulement de mots dont nous avons besoin à présent, mais d’actes concrets pour l’amélioration de notre quotidien. C’est aussi la seule façon de parvenir à la paix », a-t-il déclaré.
Terra incognita
Cela fait environ un an et demi que Dabash a été élu à la tête du conseil municipal de Sour Bahir, un village situé au Sud de la Vieille Ville, sous la juridiction de Jérusalem depuis 1967. Le quartier comprend également les petits villages d’Oum Touba et Oum Lison. Selon le Bureau central des statistiques, il comptait quelque 18 000 habitants en décembre 2011, tous musulmans. Il est bordé aujourd’hui à l’Ouest par le kibboutz Ramat Rahel, au Sud par Homat Shmouel (Har Homa), à l’Est par Jebl Mukaber, et au nord par Talpiot-Est.
Sour Bahir est l’un des deux premiers quartiers arabes de Jérusalem sur lequel se penche l’Institut de Jérusalem pour les études israéliennes, à travers une nouvelle série d’études menées par le professeur Itzhak Reiter. Les chercheurs, dont le but est de décrire la situation sur place, dans le secteur arabe de la ville, aussi précisément que possible, désignent ces quartiers sous le nom de « terra incognita ». Une terre inconnue, non seulement aux yeux de l’habitant non arabe moyen, mais aussi, à certains égards, aux yeux des autorités chargées de décider de la voie à adopter sur le terrain.
Nir Barkat a déclaré à plusieurs reprises que, pour faire de Jérusalem une ville véritablement unie, il faut réduire l’écart entre les secteurs juifs et arabes, dans tous les aspects de la vie quotidienne, et éventuellement combler le fossé qui les sépare. Cette série d’études pourrait jouer un rôle déterminant dans la réalisation de cet objectif ambitieux, surtout si l’on considère que le fossé persiste après 47 ans de réunification officielle de la capitale.
En bon voisinage
Dabash estime que Kikar Safra fait souffler pour la première fois un vent nouveau pour prendre en compte les besoins du secteur arabe.
« Je pense que cette fois, Barkat est sincère quand il dit qu’il veut réduire l’écart… Ce n’est pas un cadeau qu’il nous fait. Nous méritons cela : aussi bien des routes, des trottoirs, des terrains de jeux, des salles de classe et des dispensaires de protection maternelle et infantile comme dans n’importe quel quartier juif », affirme-t-il. « Après tout, nous payons notre part d’impôts locaux. La municipalité doit nous fournir tout cela. »
Comment Dabash peut-il être certain que le budget municipal 2015 va financer ces propositions ? S’il n’a pas eu accès aux détails du nouveau budget, il sait exactement ce qui sera inclus dans le programme de travail de cette année pour Sur Bahir.
« D’abord, nous allons enfin avoir une vraie route d’accès au quartier qui traversera son centre, pour la première fois depuis 1967 », déclare-t-il non sans une certaine émotion. « Un budget de 32 millions de shekels a été voté pour la construction et le revêtement de la route 18, comme il se doit pour une route normale en 2015. »
Il subsiste d’énormes difficultés, pointe Dabash, et même l’attitude favorable de Kikar Safra ne peut les surmonter, comme par exemple la question des eaux usées.
La simple mention du fait lui arrache un profond soupir et le ton de sa voix se durcit légèrement.
« Nous sommes à la merci de Gihon, la compagnie des eaux. L’attitude ici est totalement différente de celle de la municipalité. Tel est le prix de la privatisation dans tout le pays, et c’est très difficile pour nous », explique-t-il.
« Au début », raconte-t-il, « la compagnie réclamait une somme bien au-dessus des maigres moyens du quartier : plus de 48 millions de shekels. Et comme nous n’avons pas payé, ils ont purement et simplement saisi les comptes bancaires de tous les résidents. »
Puis, après une série de marchandages de bas étage, le montant initial a été ramené à 32 millions. Et cela devrait encore baisser. « Mais uniquement parce que l’objectif principal est de réparer les égouts du quartier voisin de Har Homa », explique-t-il. « Ce n’est pas pour les beaux yeux des habitants de Sour Bahir, mais pour ceux de Har Homa. Et comme nous sommes le quartier voisin, on nous a simplement inclus dans le lot. »
S’occuper des jeunes
Néanmoins, l’atmosphère générale dans le quartier s’améliore, insiste-il, grâce à quelques actions majeures sur le terrain.
« Avant moi, il y a eu neuf présidents différents de ce conseil municipal, neuf présidents en neuf ans. Ils étaient tous affiliés soit au Fatah, soit au Hamas. Beaucoup de grands discours enflammés, mais sur le terrain : rien », souligne-t-il. « Quand les habitants m’ont demandé de prendre le relais, j’ai annoncé d’entrée de jeu que je n’allais pas me mêler de politique, mais juste répondre aux besoins des résidents. Je dis ce que je pense, haut et fort : je veux obtenir des installations et des services pour améliorer notre vie de tous les jours, c’est tout ! »
Depuis le début du second mandat de Barkat, au cours duquel le maire a promis publiquement de porter attention au secteur arabe, tout semble aller pour le mieux selon les plans de Dabash. La première chose qu’il a demandée, il y a quelques mois, a été le nettoyage et la réfection du revêtement de la route principale du quartier – ce que la ville fait régulièrement dans les quartiers juifs mais n’avait jamais été réalisé à Sour Bahir depuis la fin de la domination jordanienne.
« Cela a été pour moi une façon de tester le sérieux des intentions de la municipalité », se souvient Dabash. « Depuis lors, je sais que je peux collaborer avec elle, même si cela demande beaucoup d’efforts et de patience. »
En effet, la liste de ce qui manque est encore longue : au moins 40 salles de classe, la rénovation et la climatisation de dizaines d’appartements en location utilisés comme salles de classe, le premier dispensaire de protection maternelle et infantile, un centre de réadaptation et de soins pour les personnes handicapées, trottoirs, terrains de jeux, rues, parcs, etc.
Il n’y a pas de maison des jeunes pour les adolescents du quartier. Or, pour Dabash, il est essentiel d’empêcher les organisations privées, affiliées en grande partie au Hamas ou à l’Autorité palestinienne, de remplir le vide.
Un de ses atouts majeurs : les neuf membres de son conseil incluent des représentants des principaux clans de quartier. D’où peu d’opposition face à lui. Pourtant, il sait que ses projets aboutiront seulement s’il parvient à obtenir des fonds supplémentaires et l’aval de nouveaux projets de la part de la municipalité. Des permis de construire pour les habitants du quartier par exemple, ce qui constituera la prochaine étape décisive de son mandat.
Un partage symbolique
Itzhak Reiter, de l’Institut de Jérusalem pour les études israéliennes, se montre un peu moins optimiste.
« Il est vrai que l’administration Barkat essaie véritablement d’améliorer la situation. Une aire de jeux par-ci, par-là, un jardin d’enfants, des aménagements du genre… Mais cela ne suffit pas », souligne-t-il. « Il faut beaucoup plus que le budget ordinaire de la ville pour combler l’écart entre les deux camps. L’implication de l’Etat est nécessaire ici. Ainsi que d’énormes budgets : des fonds publics alloués à des projets spécifiques. Mais pour le moment, nous ne voyons rien venir. »
Parallèlement, en plus du budget annuel de la ville, qui comprend des projets à la fois sur les secteurs juifs et arabes, on attend beaucoup de deux autres projets : le projet Marom de l’Autorité de développement de Jérusalem (financé par l’Etat, la municipalité et des fonds supplémentaires) et le projet de développement touristique sur cinq ans subventionné par l’Etat à hauteur de 300 millions de shekels (dont 50 millions pour les besoins sécuritaires).
Ces 50 millions en moins, le budget restant atteint 50 millions par an, souligne Reiter. « Pas mal, mais encore loin de ce qui est nécessaire », ajoute-t-il.
Dabash a récemment rencontré ses collègues du conseil de quartier de Homat Shmouel (Har Homa). A l’ordre du jour, un dialogue entre les dirigeants des deux quartiers sur le partage d’un terrain de football situé à la lisière entre les deux quartiers.
« Nous ne possédons pas de terrain de ce genre à Sour Bahir, et nous en avons un réel besoin », explique Dabash. « J’aurais pu me battre, mais je préfère tenter de parvenir à un accord de partage entre leur jeunesse et la nôtre. Si nous parvenons à conclure un tel accord, ce serait un bon début. »
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