Une affaire de réseaux sociaux

Le procès public d’Elor Azaria est le résultat d’une époque

Le soldat Elor Azaria  (photo credit: REUTERS)
Le soldat Elor Azaria
(photo credit: REUTERS)
C’est une vidéo virale qui a envoyé un soldat de Tsahal derrière les barreaux. En mars dernier, le sergent Elor Azaria a été filmé en train de tirer une balle dans la tête d’Abed al-Fattah al-Sharif, un terroriste palestinien âgé de 21 ans, étendu au sol. La scène se déroulait à Hébron en Judée-Samarie. Bien que l’acte du sergent et son procès aient eu un très fort retentissement en Israël et dans le monde, celui-ci n’est pas le premier soldat de Tsahal à être reconnu coupable d’homicide. Il est, en revanche, le premier inculpé depuis douze ans. A l’époque, Taysir Heib, un soldat israélien d’origine bédouine, avait été condamné à huit ans de prison pour le meurtre du citoyen britannique Tom Hurndall dans le sud de la bande de Gaza. C’était en 2005. A l’époque, les réseaux sociaux n’existaient pratiquement pas. Facebook avait un an, YouTube venait de naître, et Twitter n’était pas encore de ce monde. Ce sont ces nouveaux outils technologiques qui ont créé l’affaire Azaria.
Depuis le début de la dernière vague de violence à l’automne 2015, des millions d’utilisateurs, Israéliens comme Palestiniens, partagent des informations, des impressions et du contenu. Le tir d’Azaria a été filmé par un habitant d’Hébron grâce à une caméra donnée par l’association israélienne de défense des droits de l’homme, B’tselem. La vidéo est donc devenue virale grâce à tous ces nouveaux outils. Idem pour la colère de la population, dans un camp comme dans l’autre, qui a pris une ampleur jamais vue sur les réseaux sociaux, devenant impossible à ignorer dans les plus hautes sphères du pays. Il y a eu d’un côté un soutien massif apporté au soldat, perçu par beaucoup comme « un fils », qui s’est retrouvé dans cette situation par malchance alors qu’il défendait le pays. D’autres, à l’image du ministre de la Défense de l’époque Moshé Yaalon et du chef d’état-major Gadi Eisenkot, ont dénoncé l’acte inconsidéré du soldat.
Il est dans la politique de Tsahal d’enquêter sur chaque incident qui se conclut par la mort d’un civil palestinien en Judée-Samarie, mais selon l’association Yesh Din, sur 186 enquêtes criminelles menées par l’armée en 2015, seules quatre ont abouti à des inculpations. Dans le cas de 55 autres incidents, aucune enquête criminelle n’a même été ouverte. Pour les associations de défense des droits de l’homme, ces chiffres font planer le doute sur les réelles motivations de Tsahal à faire condamner les soldats qui ne respectent pas les règles d’engagement et de respect de la vie d’autrui.
Selon d’autres chiffres fournis par B’tselem, 99 Palestiniens ont été tués par des soldats israéliens en Judée-Samarie en 2015. Sur ces cas, seulement 21 enquêtes ont été ouvertes. Mais le plus souvent, ces affaires ne font pas grand bruit. Si ces actes sont filmés, c’est généralement par des caméras de surveillance. Les associations accusent ainsi l’armée de faire en sorte qu’ils ne soient pas rendus publics. D’où la politique de B’tselem de fournir des caméras aux Palestiniens.
Il est certain que sans les images filmées ce jour-là, Azaria n’aurait pas été inquiété. Moins d’une heure après la mort de Sharif, le commandement central de Tsahal était informé de l’incident par les officiers supérieurs du soldat et une enquête était déjà ouverte. L’affaire s’est transformée en crise pour l’armée israélienne seulement après que la vidéo ait fait le tour des réseaux sociaux. A une autre époque, Azaria aurait peut-être été jugé par une cour militaire et envoyé en prison loin du battage médiatique qui a révélé les divisions du pays. Mais, à l’heure de Facebook et Twitter, il était impossible pour Tsahal de garder l’affaire sous silence. Un procès public était inévitable.

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