Progéniture maudite

Le Shin Bet s’inquiète de l’augmentation du nombre de terroristes issus d’unions entre Arabes israéliens et Palestiniens

Le sergent Ron Yitzhak Koukia, 19 ans, poignardé dans une ville du Néguev (photo credit: DR)
Le sergent Ron Yitzhak Koukia, 19 ans, poignardé dans une ville du Néguev
(photo credit: DR)
Le jeudi 30 novembre 2017, le sergent Ron Yitzhak Kukia a été poignardé à mort à un arrêt de bus d’Arad, une ville du sud-est du Néguev où se trouvait sa base militaire. Le jeune homme, originaire de Tel-Aviv, avait 19 ans. Une fois leur forfait accompli, les terroristes se sont emparés de son arme avant de prendre la fuite en voiture. Peu de temps après, le Shin Bet, service de sécurité intérieure israélien, a procédé à l’arrestation de deux jeunes citoyens arabes israéliens, appartenant à une tribu bédouine du Néguev.
Khaled Abu Jaudah, 22 ans, a poignardé le soldat ; son demi-frère du même âge, Zahi Abu Jaudah, lui a prêté main-forte. Selon le rapport établi après interrogatoire des deux hommes, « c’est le désir de faire quelque chose pour les Palestiniens et de se venger des agissements de Tsahal dans les territoires disputés et la bande de Gaza », qui a motivé Khaled Abu Jaudah. Le rapport souligne aussi qu’il s’est identifié au groupe terroriste Etat islamique. Les vidéos de propagande djihadiste auraient alimenté son extrémisme et l’auraient incité à passer à l’acte.
Au départ, le meurtrier avait le projet d’enlever un soldat pour l’utiliser comme monnaie d’échange, afin de négocier la libération de prisonniers palestiniens incarcérés dans les prisons israéliennes. Mais il a finalement compris que ce projet trop ambitieux présentait de nombreux risques et, conscient des difficultés, a renoncé à son plan initial. Il a alors décidé de tuer un soldat et de lui voler son arme, afin de s’en servir pour commettre d’autres attaques. Il avait acheté une voiture en prévision de sa fuite, et avait mis de l’argent de côté afin de subvenir à ses besoins pendant qu’il se cacherait.
Aucun des frères n’avait d’antécédents terroristes. Ils sont ce que le Shin Bet appelle des « loups solitaires », comme c’est le cas pour la plupart des terroristes palestiniens de ces deux dernières années. La singularité de cette affaire, en revanche, c’est que les deux frères sont issus d’un mariage mixte entre un homme arabe israélien et une femme palestinienne. Même chose pour le terroriste qui a poignardé à mort le Rav Itamar Ben Gal près d’Ariel le 5 février.
Regroupement familial, deuxième génération
L’acronyme hébreu (ahmash) utilisé par le Shin Bet pour décrire ce phénomène signifie : « regroupement familial, deuxième génération. » Il se réfère aux mariages entre Arabes israéliens et Palestiniens (principalement des femmes) de Gaza ou des territoires disputés, et à leur progéniture.
Les travaux du Shin Bet sur ce phénomène révèlent une implication exponentielle du nombre d’enfants issus de ces couples dans des actes de terrorisme. Cette tendance n’est pas sans faire écho à ce que l’on déplore en Europe et dans une moindre mesure aux Etats-Unis, où des musulmans issus de la deuxième, voire troisième génération d’immigrés d’Asie, du Moyen-Orient ou d’Afrique, sont impliqués dans des activités terroristes, ou ont rejoint les rangs de l’EI en Syrie et en Irak.
L’Occident craint de plus en plus qu’avec l’effondrement du « Califat » autoproclamé de l’EI, des milliers de jeunes musulmans occidentaux – non seulement radicalisés mais ayant acquis une expérience militaire – retournent dans leurs pays d’origine pour poursuivre leur combat en menant des attaques terroristes sur leur sol natal.
Déjouer ces attaques est un défi de taille, que les services de renseignement s’attellent à relever. Une des méthodes pour y parvenir consiste à surveiller les médias sociaux, tout en veillant à ne pas violer les droits de la personne, ni porter atteinte à leur vie privée. Un équilibre difficile à tenir, qui explique pourquoi de plus en plus de services de sécurité occidentaux se tournent vers le Shin Bet, expert dans ce genre de traque, afin d’obtenir des conseils.
Ces actes terroristes, planifiés ou non, perpétrés par des enfants issus de mariages mixtes sont un phénomène bien connu des services de sécurité israéliens. Selon les données étudiées par les services de sécurité israéliens, le nombre d’enfants de la deuxième génération issus de mariages mixtes impliqués dans des actes de terrorisme, est trois fois plus élevé que chez ceux issus de la population israélo-arabe. 15 % des Arabes israéliens impliqués sont issus de telles unions. Selon le Bureau central des statistiques, il y a en Israël près d’1,9 million de citoyens arabes, dont plus de 1,5 million de musulmans sunnites. Plus de 6 % des Arabes israéliens (soit environ 100 000) sont issus de mariages mixtes israélo-palestiniens. Les chiffres sont encore plus élevés dans le Néguev, où les mariages mixtes représentent 12 % des mariages (environ 40 000).
Comprenant les risques d’un tel phénomène, les autorités israéliennes ont modifié il y a 15 ans leur politique de regroupement familial, et durci les lois sur la naturalisation, dans le but de rendre les mariages mixtes encore plus difficiles à contracter par les Arabes israéliens, ainsi que les naturalisations des femmes palestiniennes. Ce changement de politique avait été vivement critiqué par diverses organisations de défense des droits de l’homme. Ces dernières accusaient le gouvernement de racisme, dénonçant un « deux poids deux mesures », alors que la loi du retour israélienne permet à tout juif quel que soit son pays d’origine, de devenir citoyen israélien.
Un haut responsable de la sécurité m’a confié que « sans vouloir généraliser, il s’avère néanmoins que les communautés du Néguev, formées à partir de mariages mixtes et de leur progéniture sur une puis deux générations, constituent un vivier dans lequel puisent les organisations terroristes palestiniennes ». En cause, leurs liens familiaux, idéologiques et émotionnels, avec Gaza et la Cisjordanie.
Prévenir la radicalisation
Pour évoquer le fond du problème, je me suis entretenu avec Adi Carmi, un haut responsable du Shin Bet à la direction du district sud, chargé de la lutte antiterroriste dans le Néguev, le Sinaï et à Gaza. « Le fait que des terroristes soient issus de ces milieux n’est pas une surprise. Ils sont les fruits de mariages mixtes, un de leurs parents ou de leurs grands-parents est donc d’origine palestinienne. De ce fait, ils sont invités à prendre part aux événements qui ponctuent la vie de cette branche familiale de l’autre côté de la ligne verte, à Gaza ou ailleurs. Ils assistent aux mariages et aux enterrements de leurs proches et prennent part aux fêtes de familles », relate le responsable au Shin Bet. « Par ailleurs, ils ne parviennent souvent pas à intégrer les universités ou centres d’études israéliens, d’où leur tendance à faire leurs études supérieures dans les établissements de Cisjordanie. Là, ils sont parfois exposés à des enseignants et des prédicateurs musulmans radicaux et militants. Tous ces paramètres en font des proies relativement faciles pour le recrutement des groupes terroristes. »
Comment réduire ce danger ? « Les politiciens arabes israéliens, ainsi que les leaders communautaires et religieux, doivent prévenir leur dérive vers la radicalisation, et combattre leurs velléités extrémistes par tous les moyens dont ils disposent », dit-il. Néanmoins, il serait malhonnête de blâmer uniquement les dirigeants arabes israéliens et de dédouaner le gouvernement de ses responsabilités.
Depuis près de sept décennies – pratiquement depuis l’indépendance d’Israël – les gouvernements israéliens successifs ont négligé les Arabes israéliens en général, et les Bédouins en particulier. Ils ont investi beaucoup moins d’argent pour l’éducation, la santé, l’emploi, les infrastructures et le logement de ces populations.
Le résultat est que dans tous les domaines socio-économiques, ou presque, les Arabes israéliens sont moins bien lotis que les juifs. Ces dernières années, le gouvernement de Benjamin Netanyahou a tenté de renverser cette tendance, en investissant plus d’argent que jamais pour l’amélioration des conditions de vie des Arabes israéliens, et en particulier des Bédouins du Néguev. 1,2 milliard de dollars ont été débloqués dans cet objectif. Cette aide est toutfois soumise à certaines conditions. Mais sous certaines conditions. Le gouvernement Netanyahou souhaite ainsi relocaliser les nomades du Néguev dans les communautés urbaines de la région, ce qui les contraint à renoncer à leur mode de vie traditionnel. Nombre d’entre eux s’opposent farouchement à cette politique. Il y a pourtant urgence : pour le Shin Bet, hausser le niveau de vie des Arabes israéliens est le meilleur rempart contre la radicalisation.
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