L’économie selon Trump

Quelles seront les principales mesures économiques de la prochaine administration américaine ? Quel sera leur impact sur le monde et sur Israël ?

Les marchés boursiers ont réagi nerveusement au lendemain des élections présidentielles américaines (photo credit: REUTERS)
Les marchés boursiers ont réagi nerveusement au lendemain des élections présidentielles américaines
(photo credit: REUTERS)
A quoi ressemblera l’Amérique de Trump ? Répondre à cette question est une entreprise difficile, car le président élu a très peu détaillé son programme politique pendant la campagne électorale. La tâche est d’autant plus ardue pour nombre d’analystes et de sondeurs qui se sont largement discrédités en ne prenant pas conscience du soutien populaire dont jouissait le magnat de l’immobilier. Ce qui ne fait pas de doute, c’est que Trump possède sa propre vision de l’économie.
Quel sera l’impact des mesures annoncées dans son programme si elles sont effectivement mises en œuvre ?
L’élection de l’homme d’affaires a pris le monde entier de court, et la surprise des premiers jours a laissé la place, chez beaucoup, à un franc scepticisme. Israël n’échappe pas au phénomène et les spéculations sur la future politique de Washington, notamment en matière économique, vont bon train. Et pour cause. Les Etats-Unis sont de loin le principal marché pour les exportations israéliennes : ils ont ainsi acheté 28 % des produits exportés par Israël sur les neuf premiers mois de l’année, soit une dépense de 17 milliards de dollars. L’Amérique fournit par ailleurs à l’Etat juif une aide massive en matière de défense, mais également son soutien au sein des instances internationales. Si la question des intentions de la prochaine administration de Washington est vitale pour le monde, elle l’est donc particulièrement pour Israël.
« Trump est un homme de transactions, pas d’idéologie », affirme Einar Tangen, un avocat américain aujourd’hui entrepreneur à Pékin. « C’est un négociateur. Il cherche à obtenir des contrats, des accords. Son principe, c’est “suivez l’argent”. C’est pourquoi son attitude n’aura rien à voir avec celle des autres présidents américains. » Dans son livre L’art de la négociation, le milliardaire indique que sa façon d’aboutir à des deals est « simple et directe. « Je vise très haut et je fais tout ce que je peux pour atteindre mon but », écrit-il. Pour Israël, cela signifie qu’il faudra négocier avec un président tenace qui fera passer les intérêts américains tels qu’il les conçoit, avant toute autre chose.
Un plan économique à la Reagan
Alors que l’ère Trump débute dans une grande incertitude, les signes de ralentissement de l’économie israélienne ne sont pas pour rassurer. Alors que le produit intérieur brut (PIB) a augmenté de 4,9 % sur la période d’avril à juin et de 3,2 % sur celle de juillet à septembre, ces chiffres, on le sait, sont quelque peu trompeurs. Ceux du printemps sont principalement dus à l’investissement massif d’Intel (6 milliards de dollars) pour la construction de sa nouvelle ligne de production dans son usine de Kiryat Gat. Ce qui montre, au passage, à quel point l’économie israélienne est concentrée : il suffit d’un seul investissement conséquent pour modifier les données du PIB. Quant aux chiffres de juillet à septembre, ils reflètent une reprise de la consommation qui masque une baisse continue des exportations. En octobre, le niveau de ces dernières a ainsi diminué de 25 % par rapport au même mois de l’année précédente. En outre, certains signes montrent que la hausse de la consommation des ménages touche à sa fin. Une économie américaine revigorée aidera-t-elle à relancer les exportations israéliennes ?
Si l’Histoire se répète rarement, elle donne parfois des indices pour mieux envisager l’avenir. En 1980, le gouverneur de Californie Ronald Reagan s’est présenté aux élections présidentielles américaines avec deux promesses : la baisse des impôts et l’augmentation des dépenses militaires. Il a tenu parole. Deux baisses d’impôts, en 1981 et en 1987, ont permis une hausse de la consommation et une forte augmentation de la croissance pour dix ans. L’accroissement du budget de la défense a permis d’emporter la course à l’armement face à l’Union soviétique.
Les promesses de Trump ressemblent à celles de Reagan et les résultats pourraient être similaires. Au cours de ses deux mandats, le leitmotiv de ce dernier a été « la paix par la force », ce qui correspond bien également à la vision du prochain locataire de la Maison-Blanche. D’ailleurs, nombreux sont les membres, anciens et actuels, des forces armées américaines à avoir donné leur voix au candidat républicain. Bien sûr, plus de dépenses de la part du gouvernement et moins d’impôts impliquent un plus grand déficit budgétaire et donc une dette publique plus importante. Sous Reagan, la
dette fédérale a triplé, tandis que le déficit budgétaire a grimpé jusqu’à 6 % du PIB en 1983.
Selon le Financial Times, le président élu envisagerait de baisser l’impôt sur le revenu de 39,6 % à 33 %, et celui sur les sociétés de 35 % à 15 %, au grand bénéfice des contribuables les plus riches. Ces aménagements, couplés à des dépenses massives d’environ un billion de dollars, devraient générer un déficit budgétaire colossal de l’ordre de 5,5 % du PIB en 2020, et une augmentation de 25 % de la dette publique.
Trump veut également augmenter les taux d’intérêt. Tandis que ses conseillers considèrent que la Réserve fédérale, avec son taux d’intérêt proche de zéro, a créé une « fausse économie », il est probable que le prochain directeur de l’institution entreprendra une hausse agressive des taux.
Des taux d’intérêt plus élevés signifient un dollar plus fort, et donc moins d’exportations pour les Etats-Unis, qui seront plus chers, donc moins concurrentiels. Parallèlement à la hausse de son déficit commercial, l’Amérique empruntera moins à l’étranger, ce qui entraînera une augmentation des taux d’intérêt en Israël, ceux-ci étant fortement influencés par les taux fixés outre-Atlantique.
Le dollar est de retour
« Le dollar est de retour », a titré le Wall Street Journal le 13 novembre dernier. « La victoire inattendue de Donald Trump à la présidentielle a fait bondir la monnaie américaine de 2,4 % face à 16 monnaies majeures, son plus important gain hebdomadaire depuis mai 2015. Les analystes pensent que ce n’est que le début. Les investisseurs s’attendent à une augmentation des dépenses fiscales et à une baisse d’impôts ; ils estiment que l’assouplissement des régulations entraînera une relance de la croissance, ce qui permettra à la Réserve fédérale d’augmenter les taux d’intérêt à court terme. »
Face à ces bonnes nouvelles, la cotation boursière de certaines banques a finalement bondi, malgré la crainte initiale que l’incertitude d’une victoire de Trump faisait peser sur les marchés.
Le républicain a été élu par les cols-bleus du centre des Etats-Unis, attirés par la promesse de retrouver leurs emplois délocalisés à l’étranger. Mais il est peu probable que le pays récupère des emplois dans l’exploitation des mines de charbon ou l’industrie, en particulier si le dollar monte et que Trump lance une guerre commerciale contre le Mexique et la Chine. Dans ce cas, la relance à court terme pourrait se transformer à plus long terme en déclin. Il y a une forme d’ironie à ce que de pauvres travailleurs licenciés aient choisi un milliardaire pour champion. Mais les démocrates ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes.
Pour étayer son argumentation, le candidat républicain a largement mentionné l’exemple de la société Carrier, qui a annoncé en février dernier qu’elle s’apprêtait à délocaliser au Mexique son usine de climatiseurs située à Indianapolis. Alors que 1 400 emplois sont en jeu, Trump a promis de rapatrier ces postes de travail sur le sol américain. Quant au vice-président élu Mike Pence, il a affirmé de son côté à plusieurs reprises que l’Indiana, Etat situé dans la « Ceinture de rouille » et dont il est gouverneur depuis 2012 pouvait être un fer-de-lance dans la création d’emplois. Avec 300 000 emplois créés dans le secteur privé, le taux de chômage dans cet Etat a baissé de plus de moitié depuis 2009 pour s’établir à 4,5 %, en dessous de la moyenne nationale. Mais ce que Pence oublie de mentionner, c’est que les employés de l’usine Carrier gagnaient bien plus que les nouveaux employés du secteur privé. Une perte sur salaire d’environ 8 à 10 dollars par heure. L’auteur de L’art de la négociation et ses sympathisants pourraient ainsi dire que ce n’est pas ce qu’on appelle « gagner au change ».
Trump et la Chine
« J’ai lu des centaines de livres sur la Chine », indique Donald Trump dans son ouvrage. « Je connais les Chinois, j’ai fait beaucoup d’argent avec eux. Je comprends leur façon de penser. » Des centaines ? Disons peut-être un ou deux. Le milliardaire n’est pas, a priori, un très grand lecteur.
Il a, en tout cas, promis d’imposer une taxe de 45 % sur les importations de Chine, et une autre de 35 % sur celles en provenance du Mexique. Une manne qui devrait servir à compenser les baisses d’impôts prévues. Mais il est peu probable que les choses se déroulent vraiment ainsi. On peut compter sur la Chine et le Mexique pour répondre de façon musclée en faisant chuter les exportations américaines. Dans le même temps, des pays asiatiques d’ordinaire hostiles à l’empire du Milieu, tels la Malaisie et les Philippines, ont commencé à se rapprocher de Pékin.
Trump s’est par ailleurs engagé à retirer le pays de l’accord de partenariat transpacifique avec l’Asie. Dans cette perspective, la Chine a déjà commencé à travailler sur un nouveau traité qui exclurait les Etats-Unis. Pékin et Washington sont aussi bien alliés que rivaux. Les Américains importent des biens de consommation de Chine à bas pris, tandis que celle-ci recycle les devises américaines gagnées en les prêtant à l’Oncle Sam afin de l’aider à maintenir son style de vie. Un système connu sous le nom de Chimerica. Cependant en mer de Chine du Sud, les Etats-Unis s’opposent fermement aux intentions de Pékin d’imposer sa souveraineté, notamment via la construction d’îles artificielles. Dans ce contexte, personne ne s’étonnera que le président chinois Xi Jinping ait été l’un des derniers dirigeants du monde à appeler Trump pour le féliciter après son élection, manifestant ainsi l’appréhension de son pays face à l’avenir.
Sous Obama, Washington a mis en place sa politique de « pivot » vers l’Asie. Comment cette dernière évoluera-t-elle sous Trump ? Pas sûr qu’Israël puisse effectuer pareil pivot vers la Chine et l’Asie alors que les Etats-Unis ont opté pour l’isolationnisme.
Le début de la fin de la mondialisation
La chute du Mur de Berlin le 9 novembre 1989 a marqué le début de l’ère de la mondialisation, à savoir le libre-échange des biens et des personnes, des capitaux et de l’information. Alors que les deux Allemagne se réunissaient, le marché unique européen se mettait en place et le commerce mondial prenait une autre envergure avec l’arrivée, orchestrée par les Américains, de la Russie et de la Chine au sein de l’OMC (Organisation mondiale du commerce).
Le début de la fin de la mondialisation a peut-être commencé exactement 27 ans plus tard, le 8 novembre 2016, jour de l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche. Israël a grandement bénéficié de la mondialisation, car elle a permis à ses start-up d’accéder au marché international et aux capitaux des fonds d’investissement. Si le successeur d’Obama met fin à la mondialisation à coups de taxes et de guerres commerciales, Israël sera perdant.
Enfin, le mandat de Donald Trump devrait être placé sous le signe des dépenses alors que le président élu a promis un lifting du pays. N’importe quelle personne ayant visité les Etats-Unis peut témoigner de ses infrastructures parfois en piteux état : aéroports vétustes, routes truffées de trous, ponts sur le point de s’écrouler, système de transports publics à l’agonie. D’après le conseiller économique de Donald Trump Peter Navarro, professeur à l’université de California-Irvine, et Wilbur Ross, un investisseur privé qui devrait être nommé secrétaire au Commerce au sein de la prochaine administration, plus de 60 000 ponts doivent notamment être rénovés et 2 000 systèmes d’évacuation des eaux décontaminés.
Le nouveau président élu propose un plan de remise à niveau des infrastructures pour un billion de dollars, soit 100 milliards par an pendant 10 ans, financé par le secteur privé, notamment via des crédits d’impôts. Navarro et Ross soutiennent également que les pertes engendrées par la baisse des impôts seront compensées en partie par l’augmentation des revenus des contribuables et des sociétés.
Voici donc les principaux contours de la politique économique de Donald Trump : un protectionnisme qui favorisera les riches, des initiatives commerciales agressives envers certains pays, la mise en retrait des accords internationaux. En somme, une politique centrée sur les intérêts américains. Un monde nouveau se profile car l’Amérique a décidé de changer les règles du jeu. Mais y aura-t-il un gagnant 
?
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