Bienvenue à Berlin ou comment attirer les entrepreneurs israéliens

La capitale allemande lorgne vers la success story de Tel-Aviv et souhaite développer son secteur du high-tech

Les locaux de Mindspace à Berlin (photo credit: ORIT ARFA)
Les locaux de Mindspace à Berlin
(photo credit: ORIT ARFA)
Nous sommes à Berlin sur la Friedrichstrasse, une artère particulièrement animée. Avec ses pots remplis de sachets de thés multicolores, sa jolie machine à café et son micro-ondes, la cuisine de l’entreprise Mindspace, tout comme son mobilier rétro, ressemble en tout point à celle de Mindspace Tel-Aviv, sa société jumelle. Même les mugs soigneusement alignés portent des messages de motivation identiques. D’ailleurs, en dehors des employés à la peau et aux cheveux plus clairs que leurs homologues israéliens, les seules différences vraiment flagrantes avec sa consœur se trouvent au-delà des fenêtres : alors que Tel-Aviv et le boulevard Rothschild où se trouvent les locaux de Mindspace profitent encore en cette période de l’année d’un soleil éclatant, le ciel de la capitale allemande annonce une prochaine averse.
Edita Lobaciute, manager dans l’entreprise, ne cache pas sa fierté. La branche berlinoise de Mindspace, véritable modèle de coopération israélo-allemande, cofondée par le PDG de la start-up Dan Zakai, a officiellement ouvert le 1er avril dernier en même temps que sa succursale de Hambourg. La jeune femme, qui a travaillé en tant que consultante pour d’autres start-up avant de rejoindre Mindspace, affirme que « Berlin a beaucoup de synergies communes avec Tel-Aviv. » « C’est une ville très orientée vers l’entrepreneuriat. Certains même, la définissent comme une cité start-up du fait qu’elle est parvenue à se relever de ses ruines et à tout recommencer depuis le début », explique la manager en faisant allusion au douloureux passé de la capitale allemande. » Mindspace s’y est installée deux mois avant WeWork, sa principale concurrente, cofondée par l’Israélien Adam Neumann.
Pour Mindspace, faire de cette ville la première étape de son développement à l’international était une chose naturelle. Tel-Aviv et Berlin, en effet, sont devenues au fil des ans des agglomérations jumelles officieuses. Tandis que 35 000 Israéliens environ vivent dans la capitale allemande, la Ville blanche de son côté a acquis la réputation de « Berlin-sur-Mer », en raison de sa vibrante scène culturelle avant-gardiste et de son goût pour la fête. Ces dernières années, les deux cités se sont découvert un nouveau point de convergence : leur intérêt pour le développement des start-up.
Pourtant, rien ne semblait prédestiner les deux villes à se rapprocher. Fondée en 1237, Berlin a connu une seconde naissance il y a 27 ans avec la chute de son mur, signant la fin de l’ère communiste et la généralisation du modèle capitaliste en vigueur côté ouest. Dès lors, la nouvelle cité unifiée a attiré des investisseurs avisés qui en ont fait le pôle attrayant et dynamique que l’on sait. A tel point que la capitale allemande accueille environ 12 millions de touristes par an dont beaucoup d’Israéliens, qui la choisissent pour destination favorite de vacances. La Tel-Aviv moderne, quant à elle, n’est âgée que d’un siècle, mais jouit de sa réputation bien ancrée de Silicon Valley du Moyen-Orient. Alors qu’Israël et l’Allemagne ont fêté le jubilé de leurs relations diplomatiques l’année dernière, la nouvelle phase de leur partenariat se joue donc dans le domaine des nouvelles technologies.
Des talents complémentaires
Yaron Valler est le partenaire israélien de Target Global, une société de capital-risque dont le fonds d’investissement s’élève à 300 millions de dollars et qui possède des bureaux à San Francisco et à Moscou. L’homme, peu enclin à l’ostentation souvent associée aux capital-risqueurs, occupe une petite pièce discrète dans les locaux de Mindspace. La seule photo figurant sur ses murs le montre avec une équipe d’ingénieurs ayant travaillé sur le processeur Pentium en Israël. Yaron Valler, un « geek » revendiqué natif de Holon, résume ce qui différencie les entrepreneurs allemands de leurs homologues israéliens. « A Berlin, tout est centré sur l’exécution », dit-il. « Les gens excellent dans ce domaine, il n’y a qu’à regarder le genre de personnes qui fondent les sociétés allemandes pour s’en rendre compte : ce sont tous des hommes d’affaires, alors qu’en Israël, les entreprises sont créées par des ingénieurs. »
Lorsque Valler est venu dans la capitale allemande pour la première fois il y a sept ans, recruté par une autre société de capital-risque, les start-up berlinoises commençaient tout juste à voir le jour. « A l’époque, on trouvait beaucoup de frénésie, mais encore peu de matière », se rappelle l’Israélien. « Mais aujourd’hui la ville est arrivée à une telle maturité dans ce domaine qu’elle se place juste derrière Israël en termes d’investissements. » Zalando, la célèbre boutique de prêt-à-porter en ligne, SoundCloud, la plateforme audio média et Auto 1, le plus grand marché mondial de voitures d’occasion sur Internet, sont quelques-unes des start-up qui ont vu le jour en Allemagne. Ces exemples sont représentatifs du type de business dans lesquels les Allemands excellent : le e-commerce. « L’Allemagne ne développe pratiquement aucune technologie – elle se sert de la technologie », explique Yaron Valler. « On trouve quelques innovations, mais elles restent marginales. » D’où l’intérêt de Berlin pour le savoir-faire israélien. « Beaucoup de sociétés allemandes utilisent les technologies israéliennes, particulièrement dans le domaine du traçage et de la logistique. »
Côté israélien, l’intérêt est tout aussi réciproque. Berlin offre aux start-up de l’Etat juif un point d’entrée pratique vers un marché européen trop souvent sous-estimé par les entrepreneurs blanc bleu, selon Valler. « Ils regardent généralement d’abord vers les Etats-Unis, alors que la population européenne atteint aujourd’hui les 750 millions de personnes, soit plus du double de la population américaine. » Le business angel a notamment facilité l’implantation en Allemagne de Panaya, une société israélienne spécialisée dans les tests logiciels automobiles. Une opération plus que juteuse sur le marché florissant de la voiture allemande, qui a permis à l’entreprise d’engranger plusieurs millions de dollars. « Si on ne peut se permettre d’ignorer le marché européen, il est vrai qu’il est plus difficile à pénétrer pour les Israéliens que le marché américain, en raison du problème de la langue et de ses systèmes de régulation », constate Yaron Valler. « D’un autre côté, le décalage horaire limité à une heure, les quatre heures d’avion entre les deux pays et la prédominance de l’anglais dans le monde des affaires font de l’Allemagne et d’Israël des partenaires naturels d’échanges.
Un partenariat tous azimuts
Jérusalem et Berlin ont signé plusieurs accords de partenariat ces deux dernières années afin de faciliter le développement d’un écosystème israélo-allemand de start-up. L’un de ces programmes, Berlin Partner – fondé comme un partenariat semi-public – vise autant à aider les Berlinois à se faire une place sur les marchés étrangers qu’à amener des entreprises dans la capitale allemande. Avec son double israélien, le programme Tel Aviv Global financé par la municipalité de la Ville blanche, Berlin Partner facilite ainsi les échanges entre entrepreneurs des deux villes, en fournissant à ses participants aussi bien des locaux provisoires que toutes les informations dont ils ont besoin, et en proposant des ateliers ainsi que des programmes de tutorat. Le programme Berlin Partner a également été mis en place à New York, Paris et Shanghai, le choix de ces villes étant basé sur une enquête relative aux besoins et aux intérêts de la scène berlinoise des start-up. Tel-Aviv, quant à elle, a été sélectionnée principalement pour sa capacité d’innovation et sa pépinière de talents.
« A Tel-Aviv, être entrepreneur est la façon normale de faire des affaires », explique le Dr Stefan Franzke, directeur de Berlin Partner. « C’est ce que nous voulons apprendre à Berlin. Nous sommes également intéressés par le niveau extrêmement élevé en Israël dans les domaines du codage, de la cybersécurité et de l’Internet des objets. » Le Dr Franzke note que l’entrepreneuriat et l’industrie sont dans l’ADN de la capitale allemande alors que des géants comme Siemens, AEG et Mercedes y sont nés. Mais après la destruction de la ville durant la Seconde Guerre mondiale, et la division qui s’est ensuivie, les grands noms de l’industrie sont partis vers d’autres régions du pays. Ceux de la finance et des banques se sont installés à Francfort ; l’industrie automobile a déménagé principalement dans le sud, tandis que Bonn est devenue la capitale de l’Allemagne de l’Ouest. Mais aujourd’hui, beaucoup de ces entreprises sont de nouveau installées au cœur de la capitale.
Yael Weinstein, directrice du développement économique mondial de Tel Aviv Global, constate que si de nombreux événements autour de ce partenariat se déroulent entre les deux villes, les Berlinois sont encore peu nombreux à sauter le pas pour s’installer dans les espaces de travail mis à leur disposition à Tel-Aviv. « L’un des plus gros problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui est la question des visas », dit-elle. Il est beaucoup plus facile pour les Israéliens de recevoir des permis de séjour en Allemagne, que d’obtenir des visas en Israël pour les Allemands. C’est pourquoi nous essayons de faire pression auprès du gouvernement israélien afin qu’il mette en place des formules de visas spéciaux pour les start-up. Le ministère de l’Economie y travaille. »
Autre écueil, le coût de la vie en Israël. La vie à Berlin est indiscutablement meilleur marché pour les jeunes entrepreneurs, un aspect largement mis en exergue par la « controverse du Milky » en 2014 : des expatriés israéliens dans la capitale allemande avaient alors comparé le prix de certains produits vendus à la fois dans les épiceries allemandes et israéliennes, mettant en évidence le fait que le coût du panier de la ménagère était trois fois moins cher à Berlin.
Une start-up israélienne a complètement tiré avantage de la porte d’entrée fournie par Berlin Partner, en s’imposant sur la scène culinaire berlinoise qui fait de plus en plus parler d’elle. Créée à Jérusalem, la Bitemojo app combine deux spécialités de l’Etat juif, la nourriture et la technologie, en offrant à ses utilisateurs des tours culinaires autoguidés dans les quartiers branchés de la capitale allemande. « Une fois que nous avons décidé que nous ferions cela à Berlin, nous avons rapidement été mis en contact avec Berlin Partner qui nous a appris tout ce que nous avions besoin de savoir pour nous lancer. Cela nous a été très utile », dit Michael Weiss, le directeur de la start-up. « Berlin est devenue la destination numéro un des loisirs en Europe, et nous avons pensé que la culture gastronomique de la ville méritait d’être mieux connue. », dit l’entrepreneur pour justifier son choix. Avec ses partenaires, il a déjà réussi à lever 500 000 dollars de fonds auprès de business angels et de sociétés de capital-risque, pour développer encore son application et la lancer dans d’autres villes. Prochaine destination prévue : Jérusalem.
Fuite des cerveaux ?
Un autre programme, baptisé Exist, encourage activement les Israéliens à s’installer provisoirement en Allemagne afin d’enrichir la recherche universitaire dans le domaine de la technologie. Créé il y a quinze ans, il recrute des entrepreneurs issus du monde universitaire pour conduire la phase précoce de lancement d’une start-up, planifiée sous les auspices d’une université allemande. Il y a quelques mois, Ran Oren s’est inscrit pour prendre part à ce programme, ouvert aux Israéliens depuis cette année. « Exist vous donne la possibilité de travailler tranquillement pendant une année sur votre idée, dans un environnement sécurisant », explique Oren. « C’est normalement une année où vous vous voyez contraint de retourner chez vos parents, ce qui est généralement douloureux », ajoute-t-il.
Oren a donc quitté Tel-Aviv avec son chien et trouvé un appartement à Prenzlauer Berg, dans un quartier rénové de l’ancien Berlin-Est. Il avait déjà voyagé un peu avant dans la capitale pour rendre visite à des amis et faciliter son acclimatation. A son arrivée, on lui a donné un bureau dans le Laboratoire d’innovation de l’université de Humboldt qui fournit salaire et mentor universitaire. En échange, Ran Oren apporte le savoir-faire et la fameuse audace israélienne, tout en envisageant l’éventualité de monter une affaire à plus long terme en Allemagne. « Les Israéliens ont une mentalité du “Let’s do it” (Faisons-le) tandis que les Allemands ont tendance à y réfléchir à quatre fois avant de se lancer », constate le jeune homme. « Je pense qu’il y a du positif dans ces deux attitudes, et que le mélange des deux est vraiment intéressant. »
Sa start-up démontre la nature complémentaire de ces échanges. PIN2Pin est une plateforme de gestion de risques qui aide les industriels à trouver le bon fournisseur, et à répondre aux exigences techniques de fabrication de leurs produits. Etant donné la modestie du secteur manufacturier israélien, l’Allemagne constitue pour le jeune homme un débouché très riche pour tester et implémenter ses logiciels, d’autant plus que la puissante industrie allemande n’est pas servie par des solutions de distribution vraiment efficaces. Le départ d’Oren s’apparente-t-il à une fuite des cerveaux de l’Etat juif ?
Non, si on l’en croit. Il pense que les entrepreneurs israéliens installés en Allemagne finiront par retourner dans leur pays d’origine, enrichis de leurs expériences et des connexions établies en Europe. Fondé en marge du jubilé des relations diplomatiques entre les deux pays, le programme d’échanges de start-up israélo-allemand (GISEP), initié par l’Association des start-up allemandes et soutenu par le ministère allemand des Affaires économiques, s’efforce lui de garder les Israéliens dans leur pays. « Nous ne voulons pas relocaliser les start-up israéliennes en Allemagne », assure Lukas Wiese, le coordinateur de GISEP. « Nous cherchons à y installer des filiales de ces start-up. C’est l’un des points essentiels du partenariat israélo-allemand. » Les liens historiques entre les deux pays sont à l’origine du programme, mais l’objectif, selon ce dernier, est de développer leurs relations économiques. « Cette relation peut être vue comme une sorte de symbiose entre le pouvoir industriel allemand et la réflexion hors des sentiers battus à l’origine des start-up israéliennes. Ce partenariat pourrait par exemple aider les entreprises allemandes à se digitaliser, ce qui permettrait notamment au secteur automobile de progresser et de rester compétitif », explique Wiese. A la différence de Berlin Partner, la vocation de GISEP est de trouver des partenaires pour les sociétés israéliennes à travers l’Allemagne.
Michael Weiss de l’application Bitemojo ne cache pas sa satisfaction d’avoir importé son idée « juive » dans une ville inévitablement associée à la Shoah. « Je pense que le fait de lancer notre première start-up à Berlin est un peu symbolique. Nous montrons que la vie est plus forte que tous les jours sombres que nous avons vécu dans ce pays. »
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