Daesh au Sinaï : en perte de vitesse mais toujours dangereux

Miné par les dissensions internes et de nouveaux ennemis de l’extérieur, le groupe terroriste apparaît affaibli

Isis dans le Sinaï (photo credit: TWITTER)
Isis dans le Sinaï
(photo credit: TWITTER)
Il n’y a pas si longtemps, l’organisation djihadiste Ansar Bait al-Maqdis au Sinaï prêtait allégeance à Abou Bakr al-Baghdadi, calife autoproclamé de Daesh, et prenait le nom de Province du Sinaï de l’Etat islamique. Mais aujourd’hui, minée par les dissensions internes et les nouveaux ennemis de l’extérieur, elle peine à agir.
Selon l’hebdomadaire Al Ahram en langue anglaise, ses opérations sont passées de 594 en 2015 à moins de la moitié en 2016 et en 2017. Il faut dire que l’armée égyptienne marque des points depuis qu’elle a réussi à éliminer le leader de l’organisation, Abou Anas al-Ansari, en mai 2016. Son remplaçant, Abou Hajar al-Hashemi, n’est pas égyptien ; ce serait un ancien officier irakien, l’un des nombreux non-Egyptiens qui ont récemment rallié le groupe en tant que dirigeants ou simples militants. Parmi eux se trouvent des déserteurs des brigades Izzedin al-Kassam, la branche armée du Hamas, mécontents de la « mollesse » de ce dernier face à Israël et à l’Autorité palestinienne. L’influence grandissante de ces « étrangers » a entraîné des changements majeurs. Ansar Bait al-Maqdis a cessé de prendre en considération la réalité tribale de la région, et n’a plus hésité à prendre pour cible de simples citoyens et des Bédouins, y compris ceux qui par le passé, avaient sympathisé avec le mouvement djihadiste.
Sables mouvants
La nouvelle politique était d’appliquer purement et simplement le principe directeur de Daesh : terroriser par la violence et la cruauté afin d’atteindre le but suprême, l’établissement d’un régime islamique reposant sur la Charia sous l’autorité d’un calife. Le massacre de 300 fidèles en prière dans la mosquée d’al-Rawdah de tendance soufie le 24 novembre dernier en a été la démonstration. Faisant cela, les jihadistes se sont aliénés les Bédouins de la tribu Tarrabin – la plus importante de la péninsule – qui les avaient aidés par le passé, leur offrant informations et parfois sanctuaire, ce qui gêne considérablement leurs mouvements. Ils auraient même lancé plusieurs opérations contre eux l’été dernier. Parallèlement, les dissensions se creusent entre « Egyptiens » et nouveaux venus. Pression accrue de l’armée et hostilité des Bédouins ont poussé de nombreux militants à la désertion : certains sont retournés à Gaza, d’autres sont partis en Libye. Quant à ceux qui ne voulaient pas quitter le Sinaï, ils sont allés grossir les rangs d’un autre groupe terroriste dénommé « l’Armée de l’islam » et qui les protège de la vengeance de Daesh. Proche d’al-Qaïda, ce groupe est apparu en 2011 et a récemment attaqué l’armée égyptienne, mais aussi Daesh : une vingtaine de corps ont été retrouvés vers la fin de l’année dernière dans une zone désertique au sud d’El-Arish, après une confrontation armée entre les deux organisations djihadistes.
Une correspondance interceptée à la même époque en dit long sur la situation de la Province du Sinaï de l’Etat islamique. Il s’agit de lettres envoyées apparemment de Syrie par Abou Bakr al-Baghdadi aux dirigeants de Daesh en Libye. Tombées entre les mains d’un groupe inféodé à al-Qaïda, elles sont parvenues on ne sait comment à un quotidien saoudien paraissant à Londres qui les a publiées. Rédigées en octobre et novembre alors que Daesh, allant de défaite en défaite en Irak et en Syrie, venait de perdre Syrte, sa dernière place forte en Libye, elles témoignent de la frustration et du défaitisme du calife autoproclamé. Il demande à ses partisans en Libye de se regrouper dans les régions désertiques et escarpées du sud du pays, où la gorge des oueds offre une protection contre les drones et les avions. Il les encourage à poursuivre le combat et à accueillir à bras ouverts les militants fuyant la Syrie et l’Irak. Les courriers comprennent également des instructions détaillées sur la façon de se réorganiser et de diriger de leurs nouvelles positions la lutte en Egypte, en Tunisie, en Algérie et au Mali. Il est demandé aux militants de recruter des enfants et de les envoyer observer les combats afin qu’ils puissent s’imprégner de l’esprit du mouvement et devenir les activistes de demain. Les régions désertiques du sud de la Libye pourraient ainsi devenir les nouveaux centres d’opération de l’Etat islamique. Baghdadi ne cache pas sa colère contre Ansar Bait al-Maqdis, dont tant de membres ont fui vers la Libye. « Votre conduite honteuse a été portée à mon attention », écrit-il. « Ce sont des militants des brigades de Bait al-Maqdis qui ont déformé l’esprit du Djihad. » Il réitère que le Sinaï fait partie du grand plan de l’organisation et ne doit en aucun cas être abandonné.
Une lutte jusqu’au-boutiste
On ignore combien de déserteurs ont rejoint la Libye et s’ils ont été poussés à retourner au Sinaï. Cependant, la Province du Sinaï de l’Etat islamique poursuit son combat en dépit des menaces de toutes parts, y compris celle de la « réconciliation » entre le Hamas et l’Autorité palestinienne, ainsi que la pression accrue de l’Egypte sur l’organisation terroriste palestinienne pour qu’il cesse sa coopération avec Daesh. Pression qui a abouti à la création d’une zone tampon entre les côtés palestinien et égyptien de Rafah, prévenant tout contact entre les terroristes de Ansar Bait al-Maqdis avec leurs partisans à Gaza et les organisations salafistes ; nombre de ces derniers ont d’ailleurs été mis en prison.
Daesh avait toujours considéré le Hamas comme « infidèle », car ayant abandonné la voie du Djihad. Les relations entre les deux, limitées au minimum, avaient un caractère ambivalent, nées de leur intérêt commun contre l’Egypte et Israël. Gaza accueillait les terroristes blessés et parfois aussi les militants fuyant l’armée égyptienne. C’était là aussi probablement qu’étaient expérimentées de nouvelles armes. En contrepartie, l’Etat islamique laissait ouvertes les routes d’approvisionnement à travers le Sinaï où transitaient vers la bande de Gaza, armes de contrebande et produits de première nécessité venant de la Libye et de l’Egypte. Mais tout cela est terminé. Désormais les djihadistes attaquent les convois, ce qui entraîne une pénurie d’équipements militaires et de denrées à Gaza. On a pu voir sur les réseaux sociaux la vidéo de l’exécution sauvage d’un militant de Daesh, coupable d’avoir passé en fraude des armes dans l’enclave palestinienne. La victime était un ancien membre des brigades Izzedin al-Kassam qui avait déserté pour se rallier à Ansar Bait al-Maqdis. Idem pour son bourreau.
Depuis que la Province du Sinaï de l’Etat islamique a mis en place le blocus de Gaza, de sanglants combats l’opposent au groupe terroriste palestinien. L’organisation terroriste djihadiste, affaiblie par des dissensions internes, doit donc faire face à des menaces multiples : la montée en puissance de l’armée égyptienne, l’hostilité des Bédouins de la tribu Tarrabin et maintenant, le conflit avec le Hamas. Or, l’Etat islamique auquel elle a prêté allégeance est en perte de vitesse en Syrie et en Irak, et ne peut plus lui fournir ni financement ni armements. Il ne faut pourtant pas s’attendre à ce qu’elle disparaisse dans un proche avenir. Animés du sentiment qu’ils sont porteurs d’une mission divine, ses militants sont fanatiquement dévoués au Coran, à la suprématie d’Allah et à l’obligation de combattre ses ennemis jusqu’au bout.
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