Le Bauhaus dans tous ses états

Une exposition au musée d’Art de Tel-Aviv projette une vision résolument contemporaine de ce style architectural

Bâtiment du Bauhaus de Dessau, 1926 (photo credit: BAUHAUS-UNIVERSITÄT WEIMAR/ARCHIVE DER MODERNE)
Bâtiment du Bauhaus de Dessau, 1926
(photo credit: BAUHAUS-UNIVERSITÄT WEIMAR/ARCHIVE DER MODERNE)

Avec la reconnaissance officielle par l’Unesco, en 2003, de l’abondante collection d’édifices Bauhaus de Tel-Aviv, il semblait tout naturel que la métropole consacre une manifestation à ce genre esthétique, également nommé Style international. L’exposition Hacol itsouv (Tout est design) présentée au musée d’Art de Tel-Aviv, est l’œuvre de Jolanthe Kugler, qui a fait venir des travaux du Vitra Design Museum de Weil am Rhein, une bourgade du sud-ouest de l’Allemagne. Jolanthe Kugler, commissaire de l’exposition, et Mateo Kries, directeur du Vitra Design Museum, évoquent tous deux la complexité, la philosophie, mais aussi les intrigues inhérentes à l’esprit Bauhaus, qui signifie littéralement « construction de maison ».

Devant la pléthore d’exemplaires architecturaux du style, on ne peut que s’étonner du fait que l’école Bauhaus, fondée à Weimar en 1919 par Walter Gropius, ait duré seulement 14 ans. Ce n’est cependant pas un hasard si elle a connu sa fin précisément en 1933, avec l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler. Comme l’explique Jolanthe Kugler, « les nazis n’aimaient pas le Bauhaus. C’était un style trop libre, donc trop dangereux. »
Plus qu’un style architectural
En vérité, il est difficile de donner une définition précise de l’esprit esthétique qui a prévalu à la conception du Bauhaus. Lorsqu’on déambule dans les rues de Tel-Aviv, on peut voir nombre de ces immeubles aux lignes pures s’achevant en élégants arrondis qui évoquent un peu la proue d’un navire. A l’intérieur des bâtiments, des cages d’escalier dotées de fenêtres rectangulaires alignées proprement à l’horizontale, et des balustrades métalliques qui équipent également les toits et servent aussi à séparer les jardinets privés du trottoir.
Il suffit d’une brève période de familiarisation pour que l’œil reconnaisse aisément les immeubles Bauhaus. Pourtant, on ne peut cantonner ces derniers à un ensemble de règles de construction bien définies, comme on s’en aperçoit vite dans l’exposition. A en juger par le cliché en noir et blanc intitulé Woman in B3 Club Chair (femme installée dans la mythique chaise Wassily), pris en 1926 par Erich Consemüller, le photographe associé au mouvement Bauhaus, il faut aussi creuser l’aspect utilitaire dans cette école de pensée vieille de près d’un siècle. Le siège, conçu par Marcel Breuer, arbore des lignes pures et simples, tout comme la robe de Lis Beyer, la femme photographiée. En revanche, le masque de science-fiction qui lui couvre le visage, créé par Oskar Schlemmer, fait référence à une réflexion plus sophistiquée.
Le Bauhaus a été, dans une large mesure, la conséquence de la défaite allemande de 1918. Dans un pays économiquement dévasté, il fallait trouver des solutions rapides et fonctionnelles dans tous les domaines : de l’édification de logements bon marché et faciles à construire, à la fabrication de toutes sortes de produits et d’ustensiles de la vie quotidienne. Outre son caractère d’offensive artistique spontanée, cette démarche était aussi philosophique, orientée vers la réalité sociale d’une époque où il importait de résoudre les besoins existentiels de la vie de tous les jours, non sans proposer, en prime, une nouvelle esthétique.
Le design utile
« Le Bauhaus entend jouer un rôle utile dans la vie domestique contemporaine, et il s’applique autant aux objets du foyer qu’aux habitations elles-mêmes », notait Walter Gropius il y a 90 ans dans son article Dessau, ville du Bauhaus : principes de la production Bauhaus. « Imprégné de la conviction que les meubles et les objets ménagers doivent être rationnellement reliés les uns aux autres, le Bauhaus entend, à travers une recherche pratique et théorique systématique dans les domaines économique, technique et formel, faire correspondre le design d’un objet à sa fonctionnalité et aux relations naturelles qu’il entretient dans la maison. »
Cette nouvelle école de pensée était également issue de la révolte populaire d’après-guerre en Allemagne, mais aussi des répercussions sociales des méthodes de la production industrielle. Elle est née au sein d’un petit groupe de professionnels débordants d’idées et d’énergie, qui ont su saisir ce besoin de changement. Comme le montre l’exposition, ces hommes et ces femmes passionnés de design ont cherché à canaliser dans le prisme du Bauhaus aussi bien l’édification de logements que la fabrication de toutes sortes d’objets, depuis les meubles et les luminaires, jusqu’aux couvertures de brochures et  de livres. Il semble qu’aucun domaine de l’existence n’ait échappé à l’attention de ces créateurs du Style international.
Naturellement, Walter Gropius a été le premier à appliquer ses idées à son propre environnement, comme en témoigne la reproduction numérique d’une photographie couleur de son propre salon. Pris en 1926 ou 1927, le cliché original montre un intérieur soigné à l’extrême sur le plan esthétique (quoique les amateurs de canapés moelleux et de chandeliers en cristal puissent ne pas apprécier…). Un monochrome présentant, celui-là, un atelier de peinture murale du centre de Dessau, photographie prise en 1926 par un artiste inconnu, donne en outre une idée de l’ambiance qui régnait dans cette école.
Vision moderne du Bauhaus
L’exposition ne se contente pas de nous informer sur le Bauhaus des origines : elle comporte également quelques œuvres récentes qui s’inspirent de la même thématique, mais en ajoutant une touche contemporaine. D’ailleurs, comme l’explique Mateo Kries, c’est surtout l’approche « ici et maintenant » qui a conduit le musée de Tel-Aviv à programmer l’exposition. « Nous voyons là ce qu’a pu être le modernisme au XXe siècle, et sur cela vient se greffer ce que nous pouvons qualifier de modernisme actuel. Autant d’objets qui n’appartiennent évidemment pas à l’époque d’origine. »
Hacol itsouv a donc d’abord pour objectif de nous aider à nous réapproprier cette vision éphémère, mais très puissante de la vie moderne, explique Mateo Kries. « Nous avons voulu monter une exposition sur le Bauhaus à partir de cette perspective contemporaine, et cela nous a permis de découvrir des aspects nouveaux que le public, je l’espère, découvrira également. »
Le directeur du Vitra Design Museum ajoute que l’exposition devrait aussi permettre de réfuter une idée fausse : « Si le lien entre le Bauhaus et l’industrie était bien sûr important, d’un autre côté, on a également fait la place à l’expérimentation en démontrant que le Bauhaus ne considérait pas le design comme un autre domaine de la production industrielle, ou un style qui ne pouvait s’appliquer qu’aux objets. En fait, le mouvement se voulait une sorte de manifeste social. » Selon lui, la cohésion entre les aspects professionnel et personnel était, elle aussi, capitale. « Il s’agit d’une expérience sur la façon dont on peut rassembler des gens de différentes disciplines et créer une atmosphère propice à l’innovation. Pour nous, c’était une façon de comprendre le design Bauhaus bien plus intéressante que si nous nous étions contentés d’admirer les produits qui ont résulté de cette esthétique. »
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